Une nuit enflamméeϰ NON-LOIN DE BOURG-CABANES, ANNÉE 129
La journée touchait lentement à sa fin, le soleil à peine visible à l'horizon, un disque lumineux disparaissant peu à peu derrière les montagnes. L'on pouvait apercevoir au loin les lumières de Bourg-Cabanes, une modeste agglomération portuaire située à l'embouchure de la Sang-vert. Debout sur la proue, les mains posées sur la rambarde en bois usé, Aemond laissa échapper un soupir : il avait tenté d'argumenter avec sa mère sur la nécessité d'emmener Vhagar avec lui. Non seulement le voyage n'en aurait été que plus rapide, mais cela aurait donné un petit aperçu de la puissance des Targaryen aux dorniens. Mais non, la reine Olenne n'avait rien voulu entendre, argumentant que s'il voulait parlementer avec le fier peuple de Dorne, alors débarquer à dos de dragon ne représentait pas la meilleure voie diplomatique. Cela faisait à présent deux semaines que le prince avait quitté Peyredragon, le seul arrêt notoire se révélant deux nuits passées à La Vesprée, siège de la maison Torth. Et même si le jeune homme, habitué à naviguer dès son plus jeune âge, ne ressentait pas les malaises liés aux ballottements d'un navire, il avouait bien volontiers être lassé par ces journées passées entre sa cabine, une pièce luxueuse où il pouvait se reposer, et le pont, où les seules activités se révélaient observer l'horizon et discuter de tout et de rien. Si bien qu'après les premiers jours Aemond n'hésita pas à s'entraîner à même le pont à l'aide d'épées en bois, qu'il s'agisse contre les hommes de sa suite où contre un quelconque marin, mais aucun ne se révéla digne d'intérêt.

Attentif, le vent soufflant ses cheveux d'argent, Aemond ne fit même pas attention aux rires qui fusaient sur le pont. Dans quelques heures ils accosteraient à Bourg-Cabanes, port le plus proche de la capitaine de la région, Lancehélion. Jamais encore Aemond n'avait posé un pied dans la principauté, aussi appréhendait-il ce moment. Le mestre de Peyredragon lui avait longuement parlé du peuple vivant sur des barges richement décorées sur la Sang-Vert et Bourg-Cabanes, les Orphelins de la Sang-Vert. D'après les récits, il s'agirait des descendants des Rhoynards ayant débarqué à Dorne sou sla conduite de la reine Nymeria, mais ayant refusé de s'intégrer à la population locale. Ils continuent selon les mestres de perpétuer les traditions de leurs ancêtres, notamment religieuses, et se considèrent comme orphelins de leur mère, la Rhoyne, d'où leur nom. Reconnaissant l'autorité des Martell, mais vivant de leurs côtés, les Orphelins pratiquent la pêche, le commerce, et la cueillette des fruits. Sa situation géographique explique le lien commercial privilégié qu'ils entretiennent avec les Cités libres, tout en faisant la jonction entre Lancehélion et la mer. Les Orphelins passant pour être un peuple joyeux, féru de jeux et de danses sur l'eau, Aemond se réjouissait vraiment de débarquer afin de se changer un peu les idées. Car ayant été annoncé aux Martell par divers corbeaux, le dernier s'étant envolé le matin même, Aemond préférait passer la nuit à Bourg-Cabanes, avant de voyager dès l'aube du lendemain pour la capitale de la principauté. « Ser ... puis ... puis-je descendre un moment dans notre cabine ? » Interpellé par son écuyer, Aemond aperçu le jeune garçon trempé, ce qui lui arracha un sourire : le pauvre Rendly ne supportant que très mal la vie sur un bateau se retrouvait régulièrement prit d'assaut par le mal de mer, et lorsqu'il se vidait les entrailles dans l'océan les marins répliquaient en lui versant un sceau d'eau salée sur la tête, ce qui avait l'étonnante propriété d'améliorer l'état du Lannister. « Bien. N'oublies pas de rédiger la missive informant le seigneur Elias que je me rendrai à Lancehélion dès demain matin. » Voyant le teint livide de son écuyer, Aemond lui posa une main réconfortante sur l'épaule. « Et tente de manger quelque chose, tu as sale mine. Et réjouis-toi, nous accosterons à Bourg-Cabanes d'ici la nuit tombée. » Hochant la tête, une lueur d'espoir s'alluma dans ses yeux, Rendly s'éloigna en direction des escaliers menant à l'intérieur du navire. Ce dernier, une caraque de quarante mètres sur six, s'était révélé un navire étrangement rapide pour sa taille et sa cargaison : une trentaine d'hommes armés, garde personnelle d'Aemond, en plus de l'équipage et des diverses marchandises achetées ou vendues en cours de route. Sans oublier la dizaine de chevaux servant de monture au prince Targaryen et à ses guerriers les plus proches. « Mon prince, veuillez m'excuser. Je voulais simplement vous informer que nous arriverons à Bourg-Cabanes dans trois heures. » Le capitaine, un homme d'une quarantaine d'années et à la corpulence chétive, se passa la main sur ses longs cheveux bruns, les replaçant sur le côté. « Quels sont vos désirs une fois amarrés ? Une chambre vous attend évidemment dans la meilleure auberge de Bourg-Cabanes ... » D'un signe de la main, Aemond lui signifia qu'il prendrait les devants. « La moitié de mes hommes dormira sur le bateau, l'autre créchera aussi à l'auberge. Mais le commandant de ma garde est déjà au courant, alors profitez de votre soirée, capitaine. » S'éloignant, Aemond se dirigea vers sa cabine. Il en avait assez de ce navire, de manger du poisson à longueur de journée : il désirait découvrir Bourg-Cabanes non pas en tant que prince, où sa présence serait remarquée et où on le couvrirait d'honneurs et d'attentions, mais en tant que simple jeune homme. Combien de fois ne s'éclipsait-il pas au profit de l'anonymat, profitant des plaisirs simples de la vie ? Et bien cette nuit, Aemond Targaryen ne resterait pas les bras croisés.

ϰ QUELQUES HEURES PLUS TARD
Enfilant son pantalon, attachant la ceinture en cuir à la hâte, Aemond se redressa, le torse luisant. Oui, cette demoiselle méritait bien son cerf d'argent, qu'il déposa sur la table de chevet. Il était peut-être temps de rentrer, cela faisait à présent plus de deux heures que le jeune prince avait franchit les portes de l'établissement, et il espérait que Rendly ne s'était pas mit à sa recherche malgré ses ordres. Vêtu non pas comme un prince mais comme un homme de bonne famille, la seule manière de le reconnaître comme membre de la dynastie royale restait sa chemise, qui cachée sous une veste sombre arborait le dragon tricéphale Targaryen. Sans oublier Noire Soeur, l'antique épée en acier valyrien ayant par le passé appartenu à Visenya la conquérante, que Rhaegar s'empressa de passer à la ceinture. Alors qu'il s'apprêtait à prendre la porte, la prostitué se réveilla. Sans un mot dire, elle s'approcha du bord du lit, et une fois à genoux se retrouva à la hauteur du visage princier. « Tu comptais t'en aller sans un dernier au revoir ? » Sans lui laisser le temps de répondre, la jeune femme aux longs cheveux noirs et à la peau tannée embrassa Aemond d'un baiser langoureux. Une main malicieuse ne tarda d'ailleurs pas à se glisser sur le pantalon du jeune homme, qui laissa contre son gré un soupir de désir s'échapper de ses lèvres fermées. Savait-il seulement que cette nuit n'allait pas être aussi tranquille qu'il le désirait ?

La jeune femme se révéla particulièrement douée, voire persuasive, réussissant à retenir le jeune prince de nombreuses heures encore. Sa peau soyeuse, ses lèvres généreuses et son savoir-faire firent céder Aemond plus d'une fois, si bien qu'il savait qu'en partant il se montrerait généreux en déposant un cerf d'argent supplémentaire. Couché sur le lit, les mains croisées derrière la tête, le Targaryen se contentait de réfléchir, tandis que le visage posé sur son ventre, la demoiselle semblait dormir d'un sommeil paisible. Ou fatiguée, sûrement, ces dernières heures ne s'étant pas révélées des plus calmes. Observant le plafond sans agréments ou quelque décoration, le prince se demandait comment se déroulerait son entretien avec le prince Elias Martell dès le lendemain. N'ayant jamais eu la chance de le rencontrer, Aemond devait se fier à ce qu'on racontait de lui : un homme courageux et amical, mais quelque peu libertin et joueur, n'hésitant pas à déléguer son rôle de suzerain de Dorne à sa mère afin de profiter des joies de la vie. Celui qu'on surnommait le jeune dragon pouvait-il se permettre de juger un tel homme ? Sûrement pas, lui-même se trouvant enclin à quelques petits plaisirs parfois décriés par la noblesse de Port-Réal ... ah, si seulement sa mère pouvait le voir en ce moment même qu'elle n'hésiterait pas à l'en blâmer avec véhémence ! Mais Olenne Targaryen se trouvait à Peyredragon, à des milles et des milles de Bourg-Cabanes, aussi Aemond se permit un sourire satisfait, tandis que son corps épuisé se reposait au mieux.

Entendant alors quelques légers coups sur la porte, il se félicita intérieurement d'avoir enfilé un pantalon avant de se coucher sur le dos. Lorsque le battant un bois s'ouvrit, un homme d'une dizaine d'années plus âgé que le Targaryen entra, une coupe de vin à la main. Sensiblement de la même taille, il portait des cheveux d'un noir de jais lui arrivant aux épaules, ainsi qu'une légère barbe proprement taillée. Ses habits laissaient immédiatement deviner sa noble ascendance, tout comme son port et sa manière de se tenir. Aemond fronça toutefois les sourcils, quelque peu dérangé par cette intrusion : n'avait-il pas payé pour cette chambre en charmante compagnie ? Et voilà qu'un parfait inconnu se permettait d'entrer sans y avoir été invité. Mais n'étant pas d'un naturel très querelleur, le jeune homme décida d'entendre ce que ce visiteur voudrait bien dire pour sa défense. « Jeune Aemond, je vois que vous goûtez déjà à l’accueil chaleureux de Dorne. Mais sachez que les jeunes créatures de cet établissement, filles comme garçons, ne vous laisserons jamais vous rhabiller si vous manquez de volonté. » La première chose qui sonna l'alerte dans sa tête fut que cet homme connaissait parfaitement son identité, et de ce fait n'avait pas utilisé les formules en usage lorsqu'un s'adressait à prince, chevalier qui plus est. En territoire connu, à Peyredragon comme un peu  partout ailleurs dans le royaume, Aemond n'aurait pas manqué de faire une quelconque remarque, mais se trouvant à Dorne, une principauté où le Trône de Fer ne possédait aucun pouvoir, ou presque, le prince préféra faire profil bas. Surtout qu'il se trouvait couché, à moitié nu, une prostitué à moitié couchée sur lui. Celle-ci se réveilla d'ailleurs lorsqu'Aemond se redressa, assis sur le matelas moelleux, toujours le torse nu. « Une seule compagnie pour cette nuit ? » Cette remarque arracha un sourire amusé au jeune homme, tandis qu'une femme sortant du couloir vint se tenir au coup de l'inconnu. Celui-ci n'hésita d'ailleurs pas à jeter un coup d'oeil à la chambre, avant d'ajouter. « Vous me décevez presque, je vous pensais plus gourmand que cela pour venir jusqu’ici. » A présent assis, Aemond se permit d'attraper le gobelet en verre finement ciselé, à moitié empli d'un bon vin. Il osa siroter une fine gorgée, appréciant l'amertume du breuvage, avant de commencer à parler. « J'ignore qui vous êtes et pourquoi vous daignez me rendre visite en ces heures. » Une pointe de reproche pointait dans la voix du jeune homme, qui toutefois ne voulait pas trop s'avancer, ignorant tout de l'identité de cet homme. Ce dernier devait toutefois faire partie de la haute noblesse de Dorne, sans quoi, et connaissant l'identité d'Aemond, il ne serait pas venu le déranger de la sorte. C'était dans ce genre de moments que le prince se traitait intérieurement d'imbécile, notamment pour ne pas avoir emmené avec lui quelques hommes, dont l'un ou deux resterait de garde devant la porte, empêchant ainsi ce genre de ... dérangement. Mais puisque le mal était fait, autant tenter de le transformer en bon moment. Tendant son verre à l'attention de l'invité, Aemond continua d'une voix un peu plus amicale. « Mais au moins venez-vous me déranger un verre à la main et une femme autour du cou. » Cet inconnu ne devait pas avoir d'intentions hostiles, sans quoi ne se serait-il pas présenté de la sorte. Indiquant un des confortables fauteuils, Aemond s'installa sur celui d'en face, non sans avoir enfilé une chemise de lin blanc qu'il ne prit pas la peine de fermer. Les nombreuses bougies brûlant ça et là donnaient à la pièce, meublée de manière confortable, un aspect accueillant et propice à la détente. Et sur la table basse trônait une carafe de bon vin. Quoi de mieux pour une discussion avec cet homme. « Vous semblez connaître mon identité, et pour m'avoir trouvé ici j'imagine que je suis suivi depuis le port. » Encore un erreur de sa part, une escorte ou quelques uns de ses hommes parmi la population auraient empêché cela. Sa mère lui darderait sans l'ombre d'un doute un de ses célèbres regards accusateurs si elle avait vent des actes de son fils. Mais Aemond, connu pour ses talents d'épéistes et de guerrier, malgré son jeune âge, se faisait également connaître pour son insouciance et son imprudence. « Aurais-donc l'honneur de connaître votre nom ? » Car s'il se doutait qu'il avait devant lui un noble, Aemond désirait connaître son identité, chose toute naturelle après tout.

Délaissant la charmante demoiselle, celle-ci en profita pour s'éclipser délicatement dans le couloir, pour venir s'installer sur l'un des fauteuils, gardant toujours sa coupe à la main, le mystérieux visiteur continua la discussion. « Quand l’on ne veut pas être dérangé, il est conseillé de s’annoncer lorsque l’on arrive sur un royaume qui n’est pas le sien. » Haussant légèrement un sourcil en guise de surprise, Aemond se souvint pourtant d'avoir demandé à son écuyer, Rendly Lannister, d'écrire une missive informant le prince Elias Martell qu'il se rendrait dès la matinée suivante à Lancehélion. Mieux encore, le fils de feu le roi Viserys premier du nom avait vérifié le-dit message juste avant de débarquer, envoyant une petite délégation portant les couleurs de sa maison jusqu'à la capitale de Dorne, s'assurant de cette sorte que son message arriverait bien au suzerain de cette région indépendante du sud de Westeros. Derrière le sourire à la dérobée affiché juste avant une lampée de fin, Aemond devina la pointe de menace derrière ces propos, ce qui ne fit qu'augmenter sa curiosité. Cet homme ne lui faisait pas peur, même si le jeune dragon descellait en lui un redoutable et formidable adversaire : on disait qu'Aemond, malgré son jeune âge on le considérait déjà comme l'une des plus fines lames du royaume, un véritable prodige avec Noire Soeur dans les mains. Et malgré les sages enseignements retenus auprès du seigneur du Val, auprès duquel Aemond avait servit de nombreuses années en tant qu'écuyer, ce dernier ne redoutait personne. Maudite arrogance de jeunesse, pour sûr.

Mais rien ne le préparait à la suite. « Je suis Elias Martell. » Alors que ses lèvres se portaient au gobelet finement ciselé, Aemond avala la gorgée de précieux nectar d'un seul coup, sans prendre la peine de le déguster. Avait-il bien entendu, ou ses oreilles lui jouaient un quelconque tour ? Ainsi il se retrouvait devant le puissant Elias Martell, prince et suzerain de la principauté de Dorne, jadis unifiée par la légendaire Nymeria ? Si Aemond se doutait que cet homme était une personne importante et de haute naissance, rien ne l'avait préparé à ce qu'il s'agisse d'Elias Martell ! Se redressant imperceptiblement sur le fauteuil, le jeune homme fixa son interlocuteur. « Bien entendu, vous pouvez compter sur ma discrétion. Vos ... » Aemond savait qu'être trouvé dans un tel endroit pas le suzerain de la principauté représentait un atout pour ce dernier, qui disposait dès à présent d'un moyen de pression sur lui. Même si d'un côté Aemond pourrait également utiliser la présence d'Elias dans ce bordel, le fait qu'il ne soit pas originaire des lieux compterait beaucoup. « ... parents ne seraient quoi penser de votre choix de gite pour une première nuit en tant que messager. Mais rassurez-vous, je suis bien du même avis que du votre et à votre place, mon choix se serait porté sur la même option. » Réorganisant rapidement ses idées, Aemond fut toutefois soulagé par les dernières paroles d'Elias : ses parents devaient bien connaître son côté quelque peu libertin, mais si cet épisode pouvait éviter de tomber dans leurs oreilles ... Aemond apprécierait. « J'avoue être extrêmement surpris de me retrouver face à vous de sitôt, prince Elias, et surtout dans un tel endroit. » Imitant le prince, Aemond porta à nouveau son gobelet à sa bouche, savourant le breuvage originaire de La Treille avec délice. « J suis également surpris de vos premières paroles, puisque plusieurs corbeaux se sont envolés ce matin depuis notre embarcation afin de vous prévenir de mon arrivée. J'ai également envoyé un groupe d'hommes de confiance livrer message à Lancehélion dès que nous mîmes pied à terre. Mais peut-être étiez-vous trop ... occupé, je suppose. » Cette dernière phrase visait à piquer le prince de Dorne, mais sans méchanceté ou volonté de blesser aucune, puisqu'Aemond commençait à trouver la situation cocasse : alors qu'ils devaient se retrouver demain à Lancehélion dans les règles protocolaires dues à une telle visite, Aemond Targaryen, prince royal de sa maison et deuxième dans l'ordre de succession, et Elias Martell, suzerain de la principauté de Dorne, prince et seigneur de sa maison, se retrouvaient à boire du vin dans un bordel de Bourg-Cabanes. « Je suppose que cette rencontre ne possède aucun caractère officiel ? » Autant dire que la soirée promettait d'être ... intéressante.