Plusieurs témoignages faisaient état d'un loup solitaire, solidement charpenté, qui rôdait près des fermes situées à une heure de marche du château. Si les loups n'étaient pas rares dans le Nord, où le Bois-aux-loups les protégeaient des chasseurs, la présence d'un animal solitaire n'était jamais bon signe. Les paysans craignaient pour leurs troupeaux et, plus encore depuis quelques temps, pour leurs enfants. Une attaque avait été répertoriée, sans grande gravité heureusement, mais la populace en appelait à son seigneur pour éradiquer cette menace. Rien de très compliquée, ni même de très captivant, en cette période troublée politiquement. Mais ici, dans le Nord, les querelles politiques, quoi qu’importantes, demeuraient lointaines, et la vie habituelle prenait vite le dessus sur les considérations de Port Réal.
Tomaj avait supplié son père de l'accompagner. Enfin, supplier n'était peut-être pas le mot exact, mais il était hors de question qu'il reste au château avec Marec, tandis que leur père partait chasser la bête sauvage. Les deux frères s'étaient encore affrontés, et le cadet des Stark avait besoin de prendre l'air. Les prises de bec étaient fréquentes, et il n'était guère difficile de comprendre pourquoi le jeune homme passait plus de temps à parcourir les grandes étendues nordiennes qu'à s'ennuyer à Winterfell. Son cheval était déjà sellé quand son père, ainsi qu'une petite escouade de soldats, s’apprêtèrent à quitter le château, et il était donc tout à fait normal que Tomaj puisse les accompagner.
Le jeune homme passait rarement du temps seul avec son père à son goût. Seuls, sans la présence d'au moins un des membres de la famille, s'entend. Bryden Stark était un homme aux multiples responsabilités, souvent occupé, même si son fils devait reconnaître qu'il faisait des efforts pour être un père aimant et présent. Pas aussi présent que le jeune Stark l'aurait souhaité, mais après tout, on n'avait pas toujours ce que l'on désirait. Il y avait longtemps qu'il s'était résolu à ne pas être le fils prodige que l'on couvre d'attention, ou même le fils idéal : les remarques de sa mère n'allaient clairement pas dans ce sens. Mais il n'avait pas à se plaindre, et ne le faisait pas.
Il n'empêche, il appréciait pleinement cette chevauchée aux côtés du seigneur de Winterfell. L'allure des chevaux étaient soutenue, ce qui empêchait la moindre velléité de conversation, mais Tomaj avait toujours apprécié de se trouver en selle. Les muscles de sa monture roulants sous ses cuisses, le tonnerre des sabots sur le sol dur, les bourrasques de vent qui vous obligeaient à garder le corps alerte et l'esprit vif. Ce n'est qu'une fois en vue des premières fermes que le détachement, fort de huit soldats et des deux nobles, ralentit l'allure et se remit au pas, laissant l'occasion à Tomaj de se faufiler aux côtés de son paternel.
Talonnant sa monture, le jeune Stark s'avança jusqu'à la tête de la colonne, chevauchant quelques instants silencieusement aux côtés de Bryden. Ce dernier n'était pas réputé pour être un homme bavard, et le silence régna quelques instants avant que Tomaj ne le rompe avec une question.
Croyez-vous qu'il puisse s'agir d'un loup-garou ? Je n'en ai jamais vu, hormis sur le blason de notre maison.
Les légendes décrivaient cet animal comme puissant et rusé, mais rien n'indiquait dans le récit des paysans qu'il s'agissait de ce monstre que décrivaient les conteurs. Sans doute ne s'agissait-il que d'un vieux chef blessé, chassé de sa meute par un plus jeune et contraint de se rapprocher des humains pour chasser plus facilement.
Merci de m'avoir amené. Je crains que Dame ma mère ne me garde rancune pour l'autre soir, et veuille me garder confiné au château.
Il ne semblait pas regretter, pourtant. Son visage était rieur au souvenir de ce qui s'était passé au repas de la veille, lorsqu'il s'était présenté échevelé et plein de boue à la table familiale. Sa mère avait clairement marqué sa désapprobation, mais il avait souligné qu'elle tenait à le voir présent, et n'avait pas précisé dans quel état. Il avait passé la journée dehors, et s'était hâté de rentrer pour le dîner... sans même passer par la case bain. Ce qu'elle n'avait pas apprécié, visiblement.
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