visite de courtoisieϰ LES MÉTÉORES, ANNÉE 129
Ouvrant d'un geste nonchalant la gourde en peau de chèvre, le seigneur Qorgyl porta l'embout à ses lèvres, soulagé lorsque le frais breuvage s'engouffra dans son gosier aussi sec que le désert. « Est-ce la tour Sabrecaux Père ? » Le petit Trystan, âgé d'à peine neuf années, ne tenait pas en place sur son coursier des sables à la robe rougeâtre, tout excité par ce premier voyage aux Météores. Terminant d'abord de boire l'eau fraîche, Quentyn répondit à son cadet tout en replaçant la gourde à l'abri des assauts violents du soleil. « C'est exact. Nous devrions arriver aux Météores dans une heure. » Partis avant que l'aube ne se lève, Quentyn et la petite escorte se trouvait sur les routes poussiéreuses alors que le soleil brûlant ne pointait pas encore son nez à l'horizon, et la fatigue commençait peu à peu à faire son apparition. Car hormis une petite pause au moment où le soleil atteignait son zénith, le petit groupe ne s'était arrêté qu'occasionnellement à l'ombre d'un quelconque arbre poussant au bord de la route, espérant atteindre les Météores au plus vite, ou du moins avant la nuit tombée. Cela faisait à présent deux journées que le Trône de Fer se trouvait vaquant, avec le décès de feu le roi Viserys, et Quentyn savait que malgré le fait que Dorne n'appartienne pas aux royaumes sur lesquels règnent les Targaryen, il savait que cette disparition aurait ses causes sur la principauté.

Menant son cheval au trot, Quentyn était vêtu d'une armure en écailles légères, renforcées de cuivre, sur laquelle il portait d'amples tissus noirs et rouges. Sur sa poitrine l'on pouvait voir le blason familial, ois scorpions noirs sur champ rouge, montraient l'appartenance de Quentyn aux Qorgyle des Grès. Le visage entouré d'un ruban teinté de rouge, sa cape sombre flottait au rythme qu'il imposait à son cheval. Sur le côté gauche de sa selle se trouvaient accrochés un petit bouclier rond, cerclé de fer entourant les scorpions familiaux, ainsi qu'une épée courte, tandis que de l'autre côté Quentyn pouvait aisément, d'un rapide geste de la main, attraper sa lance de combat, arme dont il excellait au maniement. Légèrement en retrait le suivait son fils cadet, Trystan, dont la mâchoire carrée et le nez le rendaient facilement identifiable comme le rejeton de Quentyn. S'il ne se trouvait pas aussi lourdement armé que son père, ou que les six cavaliers les accompagnant, Trystan portait toutefois une petite lance, semblable en taille à une de jet, parfaitement adaptée à sa taille, avec laquelle il s'entraînait presque quotidiennement. Tous voyageaient légèrement, les gardes transportant dans des ballots solidement attachés à leurs selles des cadeaux que Quentyn réservait au seigneur des Météores, Olyvar Dayne, aussi connu pour son titre prestigieux d'Épée du Matin.

Lorsque finalement ils arrivèrent aux portes des Météores, ils furent arrêtés par les gardes de faction devant l'entrée. Reconnaissant non seulement le blason des Qorgyle, hissé le long d'une hampe tenue par un des hommes des Grès, le responsable les laissa rapidement entrer, non sans un mot amical et courtois pour Quentyn : après tout ce dernier se rendait régulièrement en visite aux Météores, et son visage n'était donc pas inconnu dans la ville. Traverser les rues de la ville ne prit que peu de temps, et même si les rues s'encombraient de plus en plus au fur et à mesure que la fraîcheur de la nuit s'installait, après tout le soleil se couchait peu à peu, tous s'écartaient devant les gardes portant la livrée des Grès. S'arrêtant près de la forteresse ancestrale des Dayne, dont le blason flottait fièrement un peu partout sur l'imposante construction, des garçons d'écurie vinrent délester les voyageurs de leurs montures. Envoyant ses hommes avec, afin qu'ils gardent un oeil sur les ballons renfermant les précieux cadeaux, Quentyn s'adressa à un servant, venu leur souhaiter la bienvenue aux Météores. « Veuillez informer le seigneur Olyvar de mon arrivée. » Cela faisait quelques mois qu'il n'avait plus croisé celui qu'il considérait comme son frère, aussi Quentyn se sentait quelque peu anxieux et impatient de serrer son hôte dans ses bras.

Lorsqu'émergea du haut d'une porte située quelque peu en hauteur, le seigneur des Météores, celui qu'on surnommait parfois le Scorpion de la Nuit afficha sans hésitation un large sourire, tout heureux qu'il était de retrouver son vieil ami. Ce dernier, d'un air tout aussi ravi, descendit rapidement les marches menant à la cour principale, afin de darder son regard dans les prunelles brunes de Quentyn. « Cela fait longtemps que j’attends ta venue, mon frère. » Étirant ses lèvres jusqu'à former un sourire en coin, Quentyn ouvrit également les bras, étreignant son ami d'enfance dans une accolade fraternelle. « Cela ne fait que trop longtemps en effet. » Voir deux hommes parmi les plus puissants de Dorne s'enlacer ainsi pouvait parfois semer le trouble parmi ceux ne connaissant pas le lien unique liant Olyvar à Quentyn, mais tant l'un que pour l'autre savaient ignorer les regards. Et puis tant les habitants des Météores que des Grès appréciaient les deux seigneurs, les voir si proches ne pouvait être que positif pour ces deux prestigieuses maisons. Après avoir indiqué à ses domestiques de s'occuper des affaires des nouveaux arrivants, les deux comparses en profitèrent pour discuter de tout et de rien, prenant des nouvelles l'un de l'autre. « C'est bon de te voir, j'espère que tu as fait bon voyage. Tu dois être affamé, je nous ai fait dresser une table. » Les routes de Dorne restaient sûres, et s'il l'avait voulu Quentyn n'aurait pas hésité à prendre la route seul en compagnie de son fils, qu'il ne craignait pas de rencontrer bandits ou brigands. Mais son rang l'obligeait parfois à s'accompagner de quelques hommes d'armes, ce qui expliquait les six cavaliers attendant patiemment, désormais privés de leurs montures, quelques mètres derrière leur seigneur, attendant de nouvelles consignes. « La route entre les Météores et les Grès est toujours sûre. » Accompagnant ces paroles d'un large sourire, Quentyn darda son regard de braise sur le plus jeune de la fratrie Dayne, Vorian, qui venait d'apparaître derrière son aîné. « Tu connais déjà mon frangin, Vorian, il a changé depuis la dernière fois que vous vous êtes vus. » Hochant la tête en guise de salut, le seigneur des Grès et Vorian échangèrent une poigne vigoureuse et amicale. Fouillant dans ses souvenirs, en effet cela faisait quelques temps qu'il n'avait croisé Vorian, le Qorgyle s'en souvenait comme d'un jeune guerrier fougueux et intrépide, ne possédant pas une once de patience mais à la loyauté et au courage infaillibles. Sûrement quelques points partagés avec Quentyn lui-même, qui appréciait fortement le cadet des Météores. « C'est vrai, il est maintenant plus grand. » Puis le fixant d'un regard amusé. « Mais je suppose que le temps ne t'a pas assagi ? » Venant d'un inconnu la remarque aurait pu passer pour un affront, mais l'accompagnant d'un large sourire et d'une tape amicale sur l'épaule, Quentyn savait que sa petite pique amicale serait bien vue par Vorian : ce dernier connaissait le seigneur des Grès depuis sa tendre enfance, il savait que ce dernier l'appréciait fortement, ainsi que son caractère explosif.

Après un petit éclat de rire amical, Quentyn fit signe à son fils, resté quelques pas en arrière, de s'avancer. « Je voulais aussi te présenter mon cadet, Trystan. » Ce dernier semblait gêné d'être ainsi mit en avant, se contentant d'un léger signe de la tête avant de baisser le regard. Du haut de ses neuf ans, dernier-né au sein d'une fratrie nombreuse et turbulente, Trystan tenait plus du caractère doux et calme de sa mère, même si physiquement personne ne pouvait douter de sa ressemblance avec Quentyn. Ce dernier espérait qu'avec le temps son fils devienne plus fougueux, plus téméraire, Trystan d'habitude mesuré et prudent, peut-être trop parfois. Mais le moment d'aborder le sujet viendrait, Quentyn le savait, bien rapidement. Décidant de changer de sujet, il posa une main ferme mais délicate sur l'épaule d'Olyvar, affichant un sourire en coin des plus malicieux. « Et ton épouse, la belle Ashara ? Tout se passe pour le mieux ? » Ayant apprit par correspondance, les corbeaux volant régulièrement entre les Grès et les Météores, qu'elle se trouvait enceinte, portant le premier enfant de l'Épée du Matin, Quentyn ne s'en trouvait que plus heureux, souhaitant à son ami d'enfance de connaître les joies de la paternité, la fierté de voir son rejeton grandir, la peur de le voir revenir couvert d’égratignures mais le sourire aux lèvres. Entre autres. « Car tes journées de calme se termineront une fois devenu père, sois-en certain ! » Adressant un clin d'oeil malicieux à son compagnon, Quentyn se laissa aller à un rire franc, imaginant Olyvar tenant dans ses bras un petit bout d'homme fripé, pleurant et puant à souhaits, lui qui se montrait si habile épée en main !